mardi 17 avril 2012

Propositions pour une refonte du système d'évaluation des risques sanitaire

Propositions pour une refonte du système d'évaluation des risques sanitaires

Publié par : LE MONDE
Le : 17.04.2012

Par Stéphane Foucart

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Mettre la question du lien entre santé et environnement au centre de la campagne présidentielle. C'est l'objectif de plusieurs organisations non gouvernementales (ONG) qui organisaient, lundi 16 avril au Sénat, une réunion publique en forme d'interpellation des candidats.

Le Réseau environnement santé (RES), Générations futures, Respire ou encore Robin des toits ont présenté une analyse détaillée des derniers scandales sanitaires ou environnementaux : selon eux, ce sont toujours les mêmes failles du système de l'évaluation des risques qui sont en cause dans ces scandales. Et ce, qu'ils soient liés à l'environnement chimique (pesticides, résidus d'emballages, etc.), aux pollutions atmosphériques ou aux médicaments mis sur le marché.

Les associations proposent aux candidats de refondre entièrement le système de sécurité sanitaire actuel. Car, estime le toxicologue André Cicolella, porte-parole du RES, que ce soit pour l'amiante, le bisphénol A ou le Médiator, "ces scandales ne sont pas le fruit du hasard ou de la fatalité, mais d'un système qui dysfonctionne".

François Veillerette, porte-parole de Générations futures, met en avant l'exemple des insecticides systémiques (Gaucho, Régent ou Cruiser) -utilisés en enrobage des semences -, mis en cause dans les effondrements de colonies d'abeilles. "Au départ, ces produits ont été présentés comme offrant une amélioration en terme de protection des plantes mais aussi en terme d'environnement", raconte M. Veillerette. Ensuite, ajoute-t-il, "la deuxième étape a été une attitude complaisante des agences de sécurité sanitaires", qui a permis une homologation rapide de ces produits. Puis, après quelques années, "sont venues les premières alertes, avec des travaux de scientifiques indépendants" travaillant pour des organismes publics (CNRS, INRA, etc.).

FORTS SIGNAUX D'ALERTE

En France, dès le début des années 2000, des publications scientifiques donnent de forts signaux d'alerte. L'industrie publie alors ses propres études, toujours rassurantes, pour y faire pièce. Mais ce n'est pas tout. Les premiers chercheurs qui documentent les effets délétères de ces pesticides sur les abeilles sont intimidés et mis sous pression, assure M. Veillerette, citant un rapport de 2005 de l'Office parlementaire de l'évaluation des choix scientifiques et technologiques.

"L'atmosphère particulièrement lourde dans laquelle ces affaires se sont développées mérite d'être relevée et notamment les comportements de l'administration en cause, le ministère de l'agriculture et plus spécialement la direction générale de l'alimentation", peut-on lire dans le rapport. "Une proportion importante des chercheurs travaillant sur ces problèmes a rencontré des difficultés ou a été l'objet de pressions."

On comprend dès lors que la première proposition des ONG soit de rattacher la direction générale de l'alimentation, qui instruit notamment les dossiers d'homologation des pesticides, au ministère de la santé plutôt qu'à l'agriculture. Il faut aussi, ajoutent les associations, créer un "institut de veille environnementale", de même qu'un institut de recherche consacré à la santé environnementale - à l'image du National Institute of Environmental Health Sciences américain. Renforcement des laboratoires de recherche de l'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) et régime de protection des "lanceurs d'alerte" sont également demandés par les associations, pour renforcer la recherche publique face aux études financées par les entreprises.

Stéphane Foucart



Bisphénol A, phtalates... comment s'en passer

Publié par : LE MONDE
Le : 17.04.2012
Par Paul Benkimoun

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Un parc de jeux "tout plastique" à Séoul, en Corée du Sud. Certaines molécules, tels le bisphénol A et les phtalates, sont dangereuses pour la fertilité humaine. Les enfants sont particulièrement exposés lors de leur développement. Un parc de jeux "tout plastique" à Séoul, en Corée du Sud. Certaines molécules, tels le bisphénol A et les phtalates, sont dangereuses pour la fertilité humaine. Les enfants sont particulièrement exposés lors de leur développement. | AFP/KIM JAE-HWAN

Bisphénol A, phtalates à chaînes courtes... Les perturbateurs endocriniens sont sur la sellette. Et de ce fait, une question-clé est posée : celle de la substitution de ces produits interférant avec le fonctionnement hormonal par d'autres, moins toxiques. Une tâche de grande ampleur et un casse-tête pour le législateur, les agences de sécurité sanitaire et les industriels. Pourtant, des alternatives existent.

Un travail de fond est en cours. La Commission européenne s'est attelée à l'élaboration d'une liste prioritaire de substances dont elle entend établir le rôle dans la perturbation endocrinienne. Elle s'appuie pour cela sur le rapport "Evaluation dans les règles de l'art des perturbateurs endocriniens", finalisé en janvier 2012 par le groupe de travail dirigé par Andreas Kortenkamp, professeur de toxicologie humaine à la Brunel University (Londres). Ce document de près de 500 pages fournit une vue d'ensemble sur les liens entre les expositions à ces substances chimiques et les effets chez l'animal et chez l'homme.

En France, l'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) publiera en mai une synthèse des contributions qu'elle a reçues, à la suite de son rapport de septembre 2011 sur les effets indésirables et les usages du bisphénol A (BPA). Elle rendra ses propres conclusions sur les risques présentés par ce plastifiant selon les voies d'exposition, d'ici à la fin de l'année.

Les deux principales formes sous lesquelles le BPA est utilisé sont le polycarbonate (qui était employé dans des biberons et l'est encore pour des verres optiques, les CD et DVD) et les résines époxydes (présentes, entre autres, dans les revêtements intérieurs des boîtes de conserve).

"ROLLS-ROYCE DU PLASTIQUE"

Les produits de substitution ne manquent pas. "Il existe 18 familles de molécules représentant des alternatives potentielles au BPA dans ses usages de polycarbonate, et 16 pour les résines époxydes, indique Dominique Gombert, directeur de l'évaluation des risques à l'Anses. Cela ne signifie pas que ces solutions soient toutes transposables industriellement et nous ignorons le plus souvent dans quelle mesure la famille alternative présente des risques." "Il n'y a pas de polycarbonate, la "Rolls-Royce du plastique", sans BPA, rétorque Michel Loubry, directeur pour l'Europe de l'Ouest de Plastics Europe, qui rassemble les fabricants européens. Les biberons en plastique sans bisphénol sont généralement en polypropylène, qui est parfaitement sûr pour le contact alimentaire, mais pour lequel nous disposons de cent fois moins d'études que sur le BPA."

Les considérations commerciales ne sont pas absentes. "La mise en avant de l'absence de BPA dans les biberons est purement un argument de marketing car il concerne des produits qui n'en avaient jamais contenu. Ces biberons coûtent quatre fois moins cher à fabriquer que ceux avec le BPA et il faut les stériliser", raille Michel Loubry.

Selon lui, "prendre des décisions tant que la science n'a pas abouti à des certitudes, c'est peut-être prendre le risque de remplacer un produit très bien connu par un autre sur lequel les connaissances scientifiques sont nettement plus légères." A l'inverse, le président du conseil scientifique du programme national de recherche sur les perturbateurs endocriniens, Rémy Slama (Institut national de la santé et de la recherche médicale, Inserm), ironise: "On a trop longtemps utilisé cet argument pour justifier l'immobilisme. Tant que la menace de l'interdiction du produit ne plane pas, il y a des industriels qui traînent les pieds."

En décembre 2011, le député (PS) Gérard Bapt a déposé une proposition de loi visant à interdire le DEHP, le phtalate présentant le plus de risques. "C'est d'autant plus réalisable que des produits de substitution existent déjà. L'entreprise Valmy, à Roanne, fabrique des dispositifs médicaux: tubulures, masques et bientôt tuyaux à oxygène et lunettes sans DEHP. Il a été remplacé par du polypropylène. Aux Etats-Unis, plusieurs firmes ont trouvé des alternatives aux phtalates", affirme-t-il.

"RAPPORT BÉNÉFICE-RISQUE"

Michel Loubry relativise : "C'est une question de rapport bénéfice-risque. Les poches à sang sont toujours en PVC, avec du DEHP comme plastifiant. L'Organisation mondiale de la santé exige qu'on le maintienne car il permet une conservation plus longue des poches de sang." Mener à bien une politique de substitution nécessite au préalable une évaluation des risques. "Le défi est d'une ampleur colossale, insiste Rémy Slama. Pour combler le retard sur toutes les substances suspectées, il faudrait des moyens que nous sommes loin d'avoir. La recherche publique doit pouvoir fournir des tests toxicologiques pertinents." "Les tests dont nous disposons ont été validés spécifiquement pour une hormone et un effet. Or un perturbateur endocrinien peut interagir avec énormément d'hormones. Il faut donc des dizaines, voire des centaines d'outils d'évaluation nouveaux", renchérit Luc Multigner (Inserm U625).

La réglementation européenne sur les perturbateurs endocriniens doit être renforcée. Cependant, la réduction de l'exposition de la population ne sera effective que si les moyens consacrés aux contrôles du contenu des produits fabriqués hors de l'Union européenne suivent. Sans parler d'une harmonisation internationale qu'il faudra encore faire respecter partout.

Paul Benkimoun

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